Naziq Al-Abid
Par Salomé ZERBOUHI
A la fin du 19ème siècle, à la cour du sultan Abdulhamid II se trouve un aristocrate, parmi tant d’autres. Sa fille nait en 1887 à Damas, elle s’appelle Naziq al-Abid. Du fait de la situation confortable de sa famille, elle bénéficie d’une éducation de qualité. Cela lui permet de prendre conscience rapidement des inégalités. Elle s’intéresse notamment aux inégalités de genre, économiques et à la domination de l’Empire Ottoman qu’elle ne peut supporter. C’est pourquoi elle s’éloigne rapidement des codes du milieu aisé dont elle est originaire. D’ailleurs, on dit qu’elle a troqué ses riches vêtements pour des habits de travailleuse et qu’elle travaillait elle-même aux cotés des plus pauvres.
Alors qu’elle est encore adolescente, elle part faire ses études à Istanbul où elle suit des cours dans des écoles française, américaine et turque. Elle est donc polyglotte. Dès cette période, elle commence à militer contre les discriminations à l’égard des étudiants arabes. Ses revendications dérangent jusqu’au plus hautes sphères de l’Empire Ottoman qui décide de la renvoyer en Syrie. Là, elle dérange les cercles les plus conservateurs de Damas qui la surnomment « la rebelle ». Mais Naziq al-Abid ne semble guère abattue par de telles qualifications puisqu’elle continue de critiquer le pouvoir ottoman et fonde sa première association de défense des droits des femmes. Cela lui vaut un exil au Caire où elle restera jusqu’en 1918, lorsque l’Empire Ottoman est défait. A cette époque, elle est reçue aux Etats-Unis pour évoquer l’avenir de la Syrie et elle réclame le suffrage féminin.
En mars 1920, alors que la Syrie a été mise sous mandat français, les nationalistes syriens proclament unilatéralement l’indépendance du pays qui devient une monarchie constitutionnelle dont le prince est Fayçal 1er. Quatre mois après, le prince cède à la pression française sur la Syrie qui réaffirme son contrôle grâce au mandat de la Société des Nations. Le ministre de la Guerre Youssef al-Azmeh appelle à prendre les armes contre les colons français, ce que fait Naziq al-Abid. Elle survit à la bataille de Khan Mayssaloun qui a pourtant été un massacre des résistants nationalistes syriens. Durant cette bataille, elle était à la tête d’une équipe d’infirmières issues du Croissant Rouge, qu’elle vient de fonder en s’inspirant de la Croix-Rouge. Elle fonde aussi la Lumière de Damas, en arabe Nour al-Fayha, qui promeut la culture arabe dans les écoles de fille et dans le journal féministe qu’elle a créé. Mais alors qu’elle devient la première femme générale de l’armée syrienne en récompense pour sa bravoure, l’Etoile Rouge est dissoute par les français car jugée nationaliste et Naziq al-Abid est exilée au Liban puis en Jordanie.
Durant cette période, elle rencontre l’homme politique Muhammad Jamil Bayhum avec qui elle se marie, alors qu’elle a 40 ans. Il la soutient dans ses engagements féministes et surtout pour le droit de vote des femmes. La même année elle crée avec Adil al-Jazairi et Thuraya Hafiz, l’Union féminine en Syrie et au Liban, dont l’objectif est clairement politique. Son premier congrès se tient à Beyrouth en 1928 et regroupe plus de mille femmes. Elles réclament plus d’écoles pour filles, un enseignement de la langue et de l’histoire arabe mais aussi des mesures sanitaires. Elles veulent aussi que la loi islamique soit réformée afin que l’âge du mariage soit élevé à 17 ans, que la polygamie tende à disparaitre, que les héritages soient égaux pour les hommes et les femmes et de pouvoir demander le divorce plus simplement pour les femmes. Ces réclamations notamment scolaires sont un biais pour critiquer la présence française et l’enseignement de l’histoire de France jugé illégitime.
Elle revient en 1925 en Syrie aux cotés des résistants clandestins contre le pouvoir français. Et deux ans après, elle fonde, avec les mêmes femmes qu’au Liban, l’Eveil des femmes de Damas, association qui dispense des cours d’anglais, des leçons de couture aux veuves et aux jeunes filles pauvres. En parallèle elle milite pour les droits économiques des femmes, les droits des travailleuses, les jours de repos et les congés maternité. Celui-ci sera mis en place en 1933 à la suite de quoi elle fondera l’association des travailleuses du Liban. Son influence politique et dans la société fait que le mouvement féministe syrien joue un grand rôle dans la vie politique du pays.
Celle que les journalistes occidentaux surnomment la « Jeanne d’Arc arabe » meurt en 1959 à Beyrouth.