Le Maroc : futur Etat membre de l’OTAN ?

Par Maxence POULAIN

Comme un tremblement de terre

Au mois de décembre 2020, le décret de l’ancien président des États-Unis D. Trump reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental avait provoqué de nombreux rebondissements dans la région où le Front Polisario et l’État marocain sont opposés, dans une lutte d’hégémonie. Cette prise de position des États-Unis faisait écho à la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, qui entretenaient jusque-là des liens informels, officieux. Un échange de bons procédés qui semble convenir à toutes les parties concernées et se concrétisant par de multiples accords : création d’ambassades, de lignes commerciales directes ou encore d’une Chambre de Commerce Israël — Maroc (CCIM), inaugurée en 2021, dans le but d’accélérer les échanges commerciaux et les investissements économiques des deux États.

Au-delà de ces considérations économiques, des éléments historiques et politiques sont à prendre en compte pour comprendre la reconnaissance et la normalisation. Historiquement, le Maroc disposait de la plus grande communauté juive en Afrique du Nord, se chiffrant à plus de 200 000 individus dans les années 1940 pour une population d’environ 10 millions d’habitants. Après la création de l’État d’Israël en 1948, une majorité des Juifs du Maroc a décidé d’y émigrer. Ainsi, aujourd’hui, près de 800 000 Israéliens sont d’ascendance marocaine, entretenant des liens plus ou moins forts avec leur pays d’origine.

Enfin, depuis quelques années, le Maroc mène une politique étrangère favorisant d’abord et avant tout ses intérêts plutôt que ceux d’une autre entité. Dans le contexte de la crise israëlo-palestinienne, la position du Maroc s’incarne par la phrase prononcée début 2020 à l’occasion du « deal du siècle » entre Israël et les États-Unis par l’ancien ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita : « il ne faut pas être plus palestinien que les Palestiniens eux-mêmes ».

Une coopération renforcée avec les Etats-Unis

Ceci étant, cette triple-entente symbolise aussi l’approfondissement des liens entre les États-Unis et le Maroc. Comme écrit par D. Trump, le Maroc a été le premier État à reconnaître l’indépendance des États-Unis en 1777. Les liens entre les deux États se sont solidifiés lorsque le Maroc a pris son indépendance en 1956, et pendant la Guerre Froide où un rapprochement stratégique s’est opéré entre le Maroc, soucieux de rivaliser avec son voisin algérien soutenu par l’URSS, et les États-Unis, dont le but était de contenir le bloc de l’Est en Afrique du Nord. Ces rivalités ont été exacerbées par la guerre des Sables de 1963 –1964, opposant l’Algérie et le Maroc.

De fait, la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental par les États-Unis illustre bien la relation maroco-américaine depuis la prise d’indépendance du royaume chérifien, dans une sorte de partenariat « gagnant — gagnant » constant où les intérêts communs favorisent les prises de position de l’un et de l’autre. En outre, cette décision de l’ancien président D. Trump n’a pas été remise en cause par J. Biden, président en fonction des États-Unis. Plus encore, Edward Price, actuel porte-parole de la diplomatie américaine, a affirmé lors de l’été 2021 qu’il n’y avait « pas de changement » à ce sujet par rapport à la position de D. Trump. Ainsi, le Maroc est considéré comme un allié à part entière des États-Unis, et ce point semble faire consensus entre deux hommes pourtant opposés politiquement.

Et demain, l’OTAN ?

La relation avec les États-Unis se caractérise aussi par une coopération militaire qui s’est poursuivie après la Guerre Froide, ayant connue un renforcement au tournant du XXIe siècle. D’abord, le Maroc est considéré comme un partenaire régional et membre associé méditerranéen, faisant par ailleurs partie des 7 pays du Dialogue méditerranéen de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), lancé en 1994. Cette initiative avait pour but de renforcer la coopération et l’interopérabilité entre les membres de l’OTAN et les pays du Dialogue, dans un contexte de lutte d’influence en Méditerranée. À ce titre, le Maroc a organisé un séminaire pour les 25 ans du Dialogue méditerranéen en 2019. Autrement, l’OTAN a réalisé sa première patrouille maritime de 2021 en Méditerranée occidentale dans le cadre de l’opération Sea Guardian, et a notamment fait escale dans la ville de Tanger, ville marocaine se situant au nord du pays.

En tout état de cause, en plus des liens directs entre le Maroc et l’OTAN qui pourraient expliquer une quelconque adhésion du Maroc à l’organisation, son statut géopolitique et ses dernières manoeuvres militaires sont à prendre en compte. Tout d’abord, le Maroc revêt un rôle d’importance capitale pour les pays occidentaux, notamment européens, et ce pour deux raisons. La première, c’est l’importance prise par le Maroc dans la lutte contre le terrorisme, avec de multiples coopérations entre les services secrets marocains et ceux d’autres États, comme lors des sinistres attentats survenus en novembre 2015 en France. Par analogie, le Maroc dispose depuis 2015 d’un institut de formation pour imams dans le but de lutter contre l’extrémisme religieux et de promouvoir un islam modéré, et a accueilli plusieurs musulmans français pour leur fournir une formation pendant quelques années.

La deuxième raison est liée à la gestion des flux migratoires africains. Alors que l’OTAN contribue depuis 2016 à « faire face à la crise des réfugiés et des migrants en Europe », le Maroc est lui la porte d’entrée sur le continent européen, où seulement 14 km séparent le royaume de l’Espagne continentale. De plus, le Maroc est le seul pays africain à avoir des frontières terrestres directes avec l’Union Européenne, avec la présence des enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta au nord du pays. Ces deux villes se sont retrouvées sous le feu des projecteurs cet été, le Maroc ayant volontairement laissé passer des migrants pour protester contre l’hospitalisation du chef du Front Polisario en Espagne.

De fait, en plus de sa position géographique aux portes de la Méditerranée occidentale, le Maroc entretient de nombreux liens avec la plupart des États membres de l’OTAN, sans oublier les connexions économiques que nous n’avons pas évoquées ici (à titre d’exemple, en 2019, plus de 60% des échanges commerciaux du Maroc ont été effectués avec l’Europe). Mais ce qui expliquerait une éventuelle adhésion du Maroc à l’OTAN, c’est la multiplication des activités militaires bilatérales avec les États-Unis : entre contrats d’armements et opérations conjointes, les deux armées n’avaient jamais autant travaillé en commun. Début 2021, le Maroc a fait l’acquisition de nombreux équipements militaires américains, notamment des avions de combat, des hélicoptères et des drones, en plus de l’achat d’un système de défense aérienne Patriot. L’ensemble de ces achats représente un total de plusieurs milliards de dollars, selon une note de l’Agence américaine pour le commerce international.

Concernant les opérations militaires, plusieurs ont été menées lors de l’année 2021. Mais la plus importante est l’opération « African lions 2021 » réalisée entre le 7 et le 18 juin. Considérée comme « le plus grand exercice de l’armée américaine menée sur ce continent » par le major-général américain Andrew Rohling, ces exercices aériens, navals et terrestres regroupant plus de 7 000 militaires se sont déroulés dans les « Provinces du sud », à proximité de la frontière algérienne, où les États-Unis disposent d’une base militaire dans la ville de Tan-Tan. Au total, 9 pays participaient à l’opération African lions, et 5 d’entre eux faisaient partie de l’OTAN : Etats-Unis, Canada, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni. C’est, d’une certaine manière, une nouvelle façon de reconnaître la souveraineté du Maroc sur ce territoire. D’autres exercices militaires ont été réalisés conjointement tout au long de l’année, comme un exercice de prévention des catastrophes en septembre 2021, ou encore des exercices de formation en descente en rappel à destination de la Marine Royale en octobre 2021.

Conclusion

En conclusion, l’adhésion du Maroc à l’OTAN constituerait une première à bien des égards, puisque le royaume chérifien serait le premier État africain à devenir un État membre de l’organisation. Ce facteur se justifierait par la volonté des États-Unis de sécuriser leurs positions dans un contexte multipolaire, toutefois caractérisé par la montée en puissance de la Chine, parallèlement à la politique étrangère des Etats-Unis lors de la Guerre Froide avec l’URSS, où les Etats-Unis cherchaient à limiter l’avancée du bloc socialiste en incluant des pays d’Europe centrale et orientale dans son réseau d’influence. La multiplication des bases militaires de la Chine de par le monde, mais aussi son emprise économique grandissante sur l’Afrique, et enfin, la Russie plaçant ses pions au Sahel, pourraient motiver les États membres de l’OTAN et les États-Unis à favoriser l’intégration de l’allié nord-africain au sein de leur camp.

Pour le Maroc, une telle situation lui conférerait un statut unique dans la région, notamment dans un contexte de friction constante avec l’Algérie. En effet, en cas de guerre déclarée, le Maroc bénéficierait du principe de « défense collective » entrainant l’intervention des États membres de l’OTAN. De la même manière, cela conforterait le royaume chérifien dans sa volonté d’être le (futur) leader d’un continent tout entier, du moins de l’Afrique du Nord. Deux obstacles pourraient être posés au Maroc, d’abord concernant la question des valeurs, principalement de la démocratie et de l’Etat de droit. Si le royaume chérifien a connu quelques avancées en ce sens, des progrès restent à faire, notamment concernant la liberté d’expression des journalistes. Le deuxième point concerne là encore le Sahara occidental, où certains États membres de l’OTAN sont opposés à une reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur ce territoire, avec pour tête de file l’Allemagne, en pleine crise diplomatique depuis le début de l’année 2021 avec le royaume chérifien.

En tout état de cause, le Maroc semble être un potentiel État membre de l’OTAN crédible et son adhésion à l’Organisation ferait sens, au vu de l’ordre mondial, principalement pour les États-Unis. Des barrières politiques et diplomatiques restent toutefois à surmonter pour le Maroc.

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Pôle MaghrebMoyenOrient - SciencesPo Saint-Germain

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